Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

maisons particulières pour y exhiber leurs talents. Une fois rentrés à bord, le sommeil nous fit vite oublier l’aimable invitation de notre compagnon de voyage. À notre réveil, la fatigue nous avait laissés dans un état d’engourdissement peu fait pour nous engager à descendre à terre ; et j’eusse été, sans doute, un des premiers à parier contre une expédition de ce genre, sans les nécessités du service qui m’obligèrent à abandonner le calme et la fraîcheur du pont de notre navire pour aller courir à travers l’obscurité qui couvrait la terre de ses plis les plus épais.

Il pouvait être neuf heures du soir lorsque nous fûmes tirés de notre dolce farniente par de fortes détonations accompagnées de fusées. Ce bruyant feu d’artifice était tiré sur le rivage. Notre brave commandant, toujours soucieux du sort de ses hommes et de son navire, ne tarda pas à monter sur le pont pour connaître la cause de ce tintamarre. On explora la baie à l’aide des jumelles ; mais la nuit était trop sombre pour permettre de rien distinguer. Cependant des lueurs étranges ne cessaient d’éclairer la rive. À ce moment, les prudents avertissements du consul du Japon, au sujet des façons peu hospitalières des Coréens, nous revinrent à l’esprit. La marée descendait ; rien n’eut donc été plus facile que de lâcher au fond de la baie quelques brûlots enflammés auxquels il nous eut été impossible d’échapper, tant à cause de l’obscurité de la nuit, qui ne nous eut pas permis de trouver le chenal de sortie, que par suite du manque de propulsion : nos feux étaient éteints depuis deux jours, et aucun souffle de brise n’arrivait jusqu’à nous.

Nous étions, en somme, livrés sans défense à la merci des Coréens qui pouvaient transformer la paisible baie de Fou-sang en une lugubre rôtissoire d’où pas un de nous ne fût sorti vivant. Ces suppositions ne laissent pas que de nous impressionner désagréablement ; aussi, pour essayer de nous fixer au sujet du sort qui nous attend, je me décide à aller explorer le rivage et à prendre langue avec quelque indigène. Si mon expédition fut fort prosaïque au point de vue de ses résultats, elle pécha peut-être par excès de pittoresque. La nuit était si noire que du banc du canot où j’étais assis il m’était impossible d’apercevoir l’eau ; de temps à autre, une rosée fine, qui me frappait au visage, m’annonçait que la mer était très houleuse. La concession japonaise, cachée par la digue, ne laissait voir aucun feu ; au milieu de cette obscurité profonde, je n’avais pour guider l’embarcation que deux points faible-