Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/86

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bout d’une demi-heure, nous étions un peu à court de sujets de conversation ; cependant rien n’annonçait la venue des danseuses. J’en fis la remarque à mon hôte :

« Voyez-vous, me répondit-il, lorsqu’elles vont en ville, leur toilette est beaucoup plus longue à faire ; surtout la peinture de leur visage doit être bien plus solide que celle qu’elles mettent chez elles, car, dans les maisons particulières, elles n’ont point, comme dans leur maison, la ressource de passer dans une pièce voisine pour y réparer un peu les accrocs que la chaleur ou la trop grande admiration des spectateurs ont fait dans le tableau riant dont leur visage est recouvert (sic). »

La légèreté du caractère des Japonais leur a fait donner en Occident le surnom de « Français de l’Orient ». Cette qualification, aussi peu flatteuse pour eux que pour nous, a bien un peu sa raison d’être. Il est incontestable que, comme l’enfant, le Japonais passe facilement de la tristesse à la joie ; il aime à s’amuser et s’inquiète peu de l’avenir ; cela frappe surtout lorsqu’on le compare à son voisin, le sujet du Fils du Ciel. Mouchachia, qui paraissait fort curieux des choses de l’Occident, me demanda surtout des renseignements sur nos théâtres, nos danseuses, nos courses, nos toilettes et nos vins qu’il connaissait, du reste, assez bien, autrement que par ouï-dire. Au contraire, tous les Chinois avec lesquels j’ai été en rapport, tout en se montrant aussi curieux que les Japonais de la vie européenne, s’inquiétaient surtout des choses pratiques de notre civilisation. Ils vous questionnent pendant des heures sur les chemins de fer, les télégraphes, la poste aux lettres, le prix des salaires et l’organisation de l’industrie. Quant aux plaisirs, ils semblent n’avoir cure de ceux des malheureux qui vivent au delà des limites du Royaume des Fleurs, qu’ils pensent être le Paradis du Mahomet de l’humanité.

Enfin les danseuses arrivent ; elles sont six et ont avec elles deux musiciennes qui jouent des airs monotones sur une sorte de guitare à trois cordes, au manche démesurément long, et avec une caisse harmonique carrée et microscopique, dont le dessus est fait de peau de requin, ce qui donne aux sons une aigreur et une faiblesse désagréables à nos oreilles occidentales.

Les deux musiciennes s’en furent s’asseoir dans un coin de la chambre, et se mirent à jouer une sorte d’ouverture, en attendant l’apparition des danseuses. Ces dernières ne tardèrent pas à arriver ;