Maintenant Carrière est assis à table. Sa tête aux forts méplats, rejetée en arrière, ressemble à une motte d’argile où tremblent deux gouttes d’eau malicieuses et sur laquelle, comme une moustache, se serait posé un épi de blé. Le nez a reçu un coup de pouce de bas en haut. La bouche est fine. Tantôt il verse à boire à ses voisins, le bras arrondi, tenant la bouteille par le milieu de la panse : on dirait d’un soldat qui offre une tournée aux camarades. Et tantôt il pique dans son assiette les morceaux les meilleurs pour les glisser dans les assiettes de ses enfants. Tout cela est taillé dans le bloc d’ombre de la salle à manger d’Abos, ombre creusée par les pensées et la poésie et où se cache un pur écrivain qui n’a jamais soupçonné l’intrigue ni l’habileté. L’argile lumineuse des fronts bosselés s’incline vers la blancheur des faïences. Telle qu’une image de son père, réduite et lointainement réfractée, le petit René me parle de notre ami Raymond Bonheur. Et tandis qu’il cause, il semble vouloir imprimer chacune de ses pensées à quelque objet qu’il pétrit. Son père me dit :