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FEUILLES DANS LE VENT

son. J’envie cet âge où le regard ne se reporte plus qu’avec lenteur aux choses familières. Peut-être le passé devient-il alors le présent ?

Ce vieillard paisible, qui me fit songer à cet autre vieillard qui figure noblement dans Paul et Virginie, évoquait peut-être, en observant les belles moissonneuses, l’époque suggérée par les lectures de sa jeunesse… Peut-être Ruth lui apparaissait-elle couronnée de bluets et d’épis, ou bien Chloë parfumée de myrthe et donnant du sel à ses chevreaux ?

Déjà, depuis longtemps, lorsque j’entrevis dans la sérénité du jour qui va finir le patriarche de ces champs, la vieille fille était morte.


Elle avait vécu là toute sa jeunesse et, plus tard, ne cessa guère non plus d’y habiter, car, devenue orpheline, ses soins allèrent à une sœur maniaque. Ses seules absences avaient été quelques séjours annuels à Paris. Et, lorsque je pense la revoir telle que je l’ai connue, octogénaire, avec ses bandeaux neigeux qu’ornaient des violettes de Parme, avec son grand nez, son menton de galoche et ses yeux ardents, il ne m’est pas trop difficile de