Page:Jammes - Feuilles dans le vent, 1914.djvu/73

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toutes, certaines étant trop appesanties. Il y avait dix-huit couchettes sur deux rangs. À dix heures l’on déjeunait. L’une des vierges du Seigneur distribuait un peu de viande, quelques légumes, le pain et le vin coupé d’eau contenu dans un broc : « Assez, ma Sœur… merci, ma Sœur… oui, ma Sœur… » Et sur elle on eût entendu résonner ce violon de la Charité dont une seule note fit défaillir le Pauvre d’Assise.

Vers onze heures, dans la véranda qui donne sur le potager, on jouait à la bataille avec des cartes usées. Et les fils malades du peuple voyaient glisser entre leurs doigts des rois et des reines. Pour distraire Pierre et ses camarades, dans cette Auberge des douleurs, à près de trois mille ans, David reprenait la harpe sur laquelle il fit sonner sa joie ou son repentir, sur laquelle il avait sangloté avec le pauvre et l’orphelin éternels. Il trônait là avec sa chevelure annelée, sa barbe en tubes, son épaisse couronne qui étincela dans les batailles de Dieu et son sceptre et son instrument à cordes. Et Pierre disait : « Je joue le roi de pique » ; et son unique