Page:Jammes - Feuilles dans le vent, 1914.djvu/84

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des automobiles et des femmes parfumées, la contrée où c’est, comme au théâtre, toujours éclairé à l’électricité. Mais l’errant qui va de village en village connaît la vie telle qu’elle est, avec ce soleil large sur la route et cette lune discrète qui semble mesurer son huile pour ne pas fatiguer les yeux des pauvres endormis. Et à ce vagabond est inconnue même la banale et douce affection qui attend au coin du feu, en ravaudant le linge et en surveillant le pot où cuit un peu de chou dans l’eau salée.

Certes ! infirme comme il l’était, Pierre n’eût pas même rêvé d’aspirer à ce dernier état, pourtant bien humble, si le Seigneur n’avait permis à Pentecôte de jeter, à son ami, sur la prairie de l’hospice, ces mots si doux :

« Vous avez de si jolis yeux… »

Cette phrase il se la répétait et il disait :

« J’ai donc des yeux encore ! Dieu, dans sa munificence, ne m’a pas aveuglé comme Tobie. La vie est belle encore ainsi pour moi qui me décourageais aux premiers jours de l’accident… »

« — Vous avez de si jolis yeux… »