Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/131

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… C’était la vie créole d’autrefois, se dit-elle, la vie ardente et passionnée.

Elle ne sait trop quelle était cette existence, ni ce que signifient ces qualificatifs exaltés dont elle la revêt, mais elle évoque en secret la splendeur des îles dans la teinte des vignes vierges d’automne et des liquidambars finissants, et dans les rosaires de piments de feu que Gertrude suspend aux lucarnes du grenier. Elle se voit, avec Roger, en quelque bal des Antilles, ou d’ailleurs, car il est encore des noms charmants : la Floride ou Louisiane, ou la Caroline du Sud que décrivait un jeune marin dans le Musée des Familles. Il y a des révolutions. Les champs de cannes à sucre sont incendiés et l’esclave fidèle emporte jusqu’à la cime d’un cocotier l’enfant que veut tuer le chef des rebelles…

Les rêveries de Clara augmentent sa piété. Ses scrupules ont disparu. Elle trouve Dieu infiniment bon. Par ces journées encore torrides, l’humble église est comme un nid frais. Elle s’y retire souvent, mais ne demande plus pardon à Dieu pour les péchés qu’elle a commis. Sa prière est une muette exaltation, une légère fumée d’encens qui la transporte en ravissement. Elle enveloppe les pieds de la Vierge d’une sorte de cantique