Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/160

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venir réciter, parmi le parfum pieux des fraîches guirlandes, l’élégie par toi composée ? Songes-tu aux funérailles de tes parents ? Ou te souviens-tu de cette compagne adolescente que conduisit au trépas une folie ardente et pure ? Te remémores-tu que, pour cette Clara d’Ellébeuse, la cloche pleura dans l’air liquide et qu’une petite procession blanche, dont tu étais, se balança comme une armée de lys dans le cimetière en flammes ?

Depuis lors, que d’après-midi sont passés ! Almaïde d’Etremont a vingt-cinq ans. Elle connaît la solitude et l’ombre que les morts étendent au gazon où ils furent. Les monotones jours s’enfuient sans que rien distraie cette orpheline demeurée seule dans ce trop vaste domaine en face d’un oncle âgé, infirme et taciturne. Aucun pèlerin ne s’est arrêté à la grille, un soir de mai, pour cueillir dans le parfum des lilas noirs cette colombe fiancée. C’est en vain qu’Almaïde, assise auprès de l’étang, guette la carpe légendaire qui, des glauques profondeurs, doit rapporter l’anneau nuptial. Et rien ne répond à sa rêverie que la clameur des paons juchés dans le deuil des chênes. Et rien ne console sa méditation que sa méditation. Et rien ne se pose à sa bouche plus ardente qu’un fruit-de-la-passion que le vent altéré qui souffle aux lèvres de chair des marronniers d’Inde.