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Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/191

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tranquille, à la sensuelle gravité de quelque sombre Marie-Antoinette.

Combien peu elle regrette à présent de ne s’être point mariée ! Comment se fait-il qu’il y a quelques jours à peine elle rêvât d’une existence pareille à celle d’Éléonore de Landelaye ? Qu’importe, à cette heure, à Almaïde, que son amie ait gagné l’Espagne au bras d’un mari défait et pâle ? Toutes les brûlantes contrées sont dans le cœur d’Almaïde, et tous leurs vins, et toutes leurs grenades, et toutes leurs amours, et toutes leurs chansons. Ah ! cent et mille fois elle préfère au plus parfait des gentilshommes ce chevreau noir de la vallée qui la caresse de sa bouche éclatante.

Ils s’aiment. La saison s’enfuit. Après le noir Été et la sanglante Automne vient l’Hiver. Et, venu l’hiver, c’est pour Almaïde une volupté que de se souvenir des bois bleus qui commencèrent d’abriter ses amours, des ruisseaux qu’eût chéris la colombe de La Fontaine, des libellules sur le glauque ruisseau des Aldudes, du ronflement des batteuses qu’accompagnaient le roucoulement des tourterelles et les silences des baisers. Elle évoque aussi les bergeries de septembre closes au feu blanc de midi, la pénétration des caresses, la cruche bombée et rouge où ils buvaient l’eau qui grésillait dans la terre poreuse.