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LE ROMAN DU LIÈVRE

Qui donc aurait pu dire d’où Lièvre tenait cette prudence et cette sagesse ? Nul n’eût expliqué cela, ni comment elles lui avaient été transmises. Ses origines se perdaient dans la nuit des temps où les histoires se confondent.

Descendit-il de l’arche de Noë sur le mont Ararat, à l’heure où la colombe olivière, qui garde encore en son roucoulement le bruit des grandes eaux, vint signifier que baissait le déluge ? Avait-il été créé tel, ce courte-queue, ce poil-de-chaume, ce museau-fendu, cet oreillard, ce patte-usée ? L’Éternel l’avait-il jeté spontanément sous les lauriers de l’Éden ?

Avait-il vu, blotti sous un buisson de roses, Ève, comme une jument cabrée, promener parmi les glaïeuls la grâce de ses jambes ténébreuses, et tendre ses seins d’or à travers les grenades mystiques ? Ou ne fut-il d’abord qu’un brouillard incandescent ? Déjà vivait-il au cœur des porphyres ? Avait-il, incombustible, resurgi de ce civet de lave, pour habiter tour à tour, jusqu’à ce qu’il osât montrer son nez, la cellule du granit et de l’algue ? Devait-il au jais ruisselant ses yeux de bitume ? Aux limons argileux ses poils ? Aux varechs ses molles oreilles ? Au feu liquide son sang vif ?