Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/222

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anime les corps ; Celui qui fabrique, une à une, les feuilles ; ce que nous ne saurions faire, mais en quoi nous avons confiance comme dans l’œuvre d’un ouvrier parfait.

Je contemple sans désir d’intelligence, et c’est ainsi que Dieu se révèle à moi. Dans la case de ce savetier, mes yeux s’ouvrent aussi simplement que ceux du chien qui est là. Alors je vois, je vois en vérité ce que peu verront. La conscience des choses, par exemple : le dévouement de cette flamme fumeuse sans quoi le marteau de cet ouvrier ne pourrait être un gagne-pain.

C’est avec légèreté que, la plupart du temps, nous touchons aux choses. Mais elles sont pareilles à nous, souffrantes ou heureuses. Et, lorsque je remarque un épi malade parmi des épis sains, et que j’ai vu la tache livide qui est sur ses grains, j’ai très nettement l’intuition de la douleur de cette chose. En moi-même, je ressens la souffrance de ces cellules végétales, j’éprouve la difficulté qu’elles ont à s’accroître sans s’opprimer l’une l’autre à l’endroit contaminé. Le désir me vient alors de déchirer mon mouchoir et de bander cet épi. Mais je songe qu’il n’est point de remède permis pour un seul épi de blé, et que ce serait humainement un acte de folie que de tenter