Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/229

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dans la forêt que René emplit de son âme orageuse, soit qu’elles chantent sur le lac où médite un autre poète.

Il est des heures, des saisons où certains de ces accords existent davantage, où l’on entend mieux les mille voix des choses. Deux ou trois fois dans ma vie, j’ai assisté à l’éveil de ce monde mystérieux. À la fin d’août, vers minuit, quand la journée a été chaude, un bourdonnement indistinct qui n’est pas celui des rivières ni des sources, ni du vent, ni des animaux froissant l’herbe, ni des bestiaux, qui secouent leurs chaînes sur les crèches, ni des chiens veilleurs inquiets, ni des oiseaux, ni du retombement des métiers des tisserandes, s’élève autour des villages agenouillés. Ce sont des accords aussi doux à l’oreille que la lueur de l’aube est douce à l’œil. Là, s’agite un monde immense et doux où les brins d’herbe l’un sur l’autre s’inclinent jusqu’au matin, où la rosée bruit imperceptiblement, où les germes à chaque battement de seconde soulèvent toute la surface des plaines. Il n’est guère que l’âme qui puisse saisir ces âmes, pressentir ces pollens dans la joie des corolles, ces appels et ces silences par qui se crée l’Inconnu divin. C’est comme si, tout à coup, l’on se trouvait dans une contrée étrangère dont