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LE ROMAN DU LIÈVRE

Mais cette nuit qui suivit cet orage fut sereine. L’averse était presque évaporée : elle n’était plus, sur la pelouse où se rencontraient Lièvre et son amie, qu’un amas de brume en boules. On eût dit que des cotonniers de paradis crevaient leurs gousses dans l’inondation de la lune. Sur les berges, les fourrés pesants de pluie s’alignaient pareils à des pèlerins ployés sous des besaces et des outres. La paix régnait. Une main soutenait le front de l’espèce angélique. L’aube secouée de frissons attendait sa sœur l’aurore, et l’herbe agenouillée adorait l’aube.

Or, voici que Lièvre, assis au milieu de la prairie, voyait venir à lui un homme qui ne l’effrayait point. C’était la première fois depuis des âges, depuis que l’homme tend les trappes et les arcs, que l’instinct de la fuite s’abolissait dans l’âme du Patte-usée.

L’homme qui s’avançait était vêtu comme un tronc d’arbre en hiver quand le revêtent des mousses de bure. Il avait un capuchon sur la tête et des sandales à ses pieds. Il ne portait point de bâton. Ses mains, dans les manches de sa robe