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LE PARADIS DES BÊTES


Un pauvre cheval vieux, attelé à un coupé, sommeillait, par un minuit pluvieux, devant la porte d’un restaurant borgne où riaient des femmes et des jeunes gens.

Et la pauvre rosse plate, la tête tombante, les jambes faibles, triste à faire mourir, attendait là que le bon plaisir des débauchés lui permît de regagner enfin sa misérable écurie puante.

Dans son demi-sommeil, le cheval entendait les grossièretés de ces hommes et de ces femmes. Il s’y était péniblement habitué, dès longtemps. Il comprenait, avec sa pauvre cervelle, qu’il n’y a pas de différence entre le cri toujours le même de la roue qui tourne et le cri de la prostituée.

Et ce soir-là, vaguement, il rêvait à un petit poulain qu’il avait été, à une pelouse où il gambadait, tout rose, dans l’herbe verte, avec sa mère qui l’embuait.