Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/300

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

volupté. Et ce n’était pas l’impression première du jour où, y débarquant, les bouquets d’ombre et d’eau des oasis lointaines m’attendaient pour paître les troupeaux mélancoliques de mon âme…

Non, le morne Tuggurth avait dépassé mon attente. Mon cœur, toujours avide de tristesse, s’était empli de pleurs ainsi qu’une urne funéraire ; et les visions bibliques du Sud avaient, d’un geste, semé dans mon âme tout ce qu’elle pouvait contenir d’ivraie.

À ce retour, Alger m’apparut surtout française. D’ailleurs, les boutiques blêmes où cousaient les petits Mzabites devenaient un rêve pâle de langueur parfumée et morte.

Je n’allais plus aux taudis maures, mais je regardais la mer, assis à la terrasse d’un café dont la banalité luxueuse me plaisait. J’avais une joie d’enfant à demander une absinthe, à me sentir seul, tandis que le soleil de midi semblait faire chanter pour moi son ombre et sa lumière.

C’était un chant de patrie. Ce n’était déjà plus les flûtes des Biskris. C’était le grand amour dont souvent j’avais souri, l’appel des parents et des amis, la forêt douce où les ramiers perchent.

Et je pleurais presque de joie.

Tout était joli : les magasins des libraires, les grues françaises, la poste.