Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/328

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vait satisfaire. Je sentais qu’il y avait une chose que l’on ne savait pas me raconter : la vie des pierres.

Au même âge, on me gronda parce que j’avais enlevé d’un chapeau de ma mère des coléoptères naturalisés. J’avais la passion de ramasser des bêtes, pour lesquelles j’éprouvais tant d’amitié que je pleurais si je les pensais malheureuses. Et j’endure encore une angoisse abominable en me souvenant de petits rossignols que l’on m’avait donnés et qui dépérissaient dans la salle à manger. Toujours au même âge, il fallait, pour que je m’endormisse, que l’on plaçât non loin de moi un bocal où était une rainette. Je sentais que c’était une amie fidèle, et qui m’eût défendu contre les voleurs. La première fois que je vis un cerf-volant, je fus si frappé de la beauté de ses cornes que l’envie d’en posséder un me devint une souffrance.

La passion pour les plantes ne se développa que plus tard, vers l’âge de neuf ans, et encore n’ai-je bien eu l’intelligence de leur vie que vers l’âge de quinze ans. Je me souviens dans quelle circonstance. Ce fut en été, un jeudi, par un après-midi torride. Je traversais avec ma mère le jardin botanique d’une grande ville. Un soleil blanc, d’épaisses ombres bleues, des parfums d’une lourdeur presque