Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/329

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visqueuse faisaient de ce lieu à demi désert un royaume dont je franchissais enfin la porte.

Dans l’eau tiède et mordorée de bassins, des plantes coriaces et grises, ou longues, molles et transparentes, végétaient. Mais du sein même de ces pauvres et tristes algues s’élevaient, jusqu’au plein azur, de vertes lances, des hampes dont les ombelles roses et blanches opposaient leur grâce au jour ardent, des lys d’eau endormis sur leurs feuilles comme en une sieste confiante.

Aux plantes fluviales les plantes terrestres répondaient. Je me souviens d’une allée où des étudiants, un mouchoir sur la nuque, étaient ensevelis sous la beauté des feuilles. C’était l’allée des Ombellifères. Les fenouils et les férules dressaient leurs couronnes sur leurs tiges dont les gaînes éclataient. Les parfums se parlaient dans le silence. Et l’on sentait, de plante à plante, un muet épanchement, et une résignation planait sur ce royaume isolé.

Dès lors, je compris les fleurs, et que leurs familles s’apparentent et s’aiment naturellement, et non seulement pour servir aux classifications qui aident à nos lentes mémoires. Ces géométries en action que sont les végétaux marchent vers quelle solution ? Je ne sais. Mais il y a un mystère charmant à considérer que de même que les espèces