Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/341

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mait au crépuscule blanc, les toits laissaient tomber je ne sais quoi de tendre sur les rosiers grimpants et sur les pavés clairs. On s’égayait, assis sur une poutre, de mon enfance et de mon tablier blanc. Mon grand-oncle chanta quelque mélodie de la Capitale. Je le revois debout, la tête en arrière. L’air tremblait doucement. Il fit, à la fin d’une roulade, un salut ridicule et charmant.

Je te bénis, ô pauvre ville où je suis incompris, où j’abrite mon orgueil, ma souffrance et ma joie, où je n’ai guère d’autres distractions que d’entendre japper ma vieille chienne et que d’apercevoir de pauvres visages. Mais je gagne les coteaux où l’ajonc épineux s’étend, et j’éprouve, à méditer sur mes chagrins, une douceur bienfaisante ; et c’est la résignation. Ce n’est plus aujourd’hui le rire grossier et dédaigneux du public, ni le doute terrible de tout qui m’inquiète. Le rire de mes détracteurs s’est lassé, et je deviens indifférent à ce que je suis. Cependant, je suis devenu grave envers moi-même et les autres. C’est avec une joie craintive que je considère l’insouciance des heureux. J’ai compris quelle douleur peut éclore de l’amour, et quel aveuglement naître d’un regard. Et c’est à cause de ce que j’ai souffert que je voudrais donner une triste et lente caresse à ceux qui n’ont encore que du bonheur.