Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/370

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soixante-trois ans[1]. Elle était, à cette époque, si misérable, qu’une servante âgée qui l’affectionnait travaillait au dehors pour la nourrir.

S’il est vrai qu’elle payât, vers la fin de sa vie, leurs caresses à des laquais, n’avait-elle point fait de même à l’époque de sa splendeur ? N’était-elle pas la créancière de tous ceux dont elle embrassa prodiguement l’amour ? N’était-ce point, tant sa passion était belle encore, une aumône quand même qu’elle faisait à ces rustres ? Pouvait-il en être autrement que ce fût-elle qui donnât qui toujours à tous s’était donnée tout entière ?

Je me souviens du jour où, voyageant en Suisse, cinq ans avant qu’elle mourût, elle fit une suprême charité à celui qui était alors Jean-Jacques Rousseau. Elle le vint voir à Grange-Canal, où il s’était

  1. La maison où est morte Mme  de Warens porte les numéros 50 et 60 dudit faubourg.

    Extrait du registre mortuaire de la paroisse de Saint-Pierre de Lémenc : « Le 30 juillet 1762, fut enterrée, dans le cimetière de Lémenc, dame Louise-Françoise-Éléonore de la Tour, veuve du seigneur de Warens, née à Vevay, dans le canton de Berne, en Suisse, qui mourut hier à dix heures du soir, comme une bonne chrétienne, après avoir reçu les derniers sacrements, âgée de soixante-trois ans. Elle avoit abjuré la religion protestante depuis environ trente-six ans, et avoit depuis vécu dans la nôtre. Elle termina sa carrière dans le faubourg Nesin, où elle résidoit depuis huit ans dans la maison de M. Crépine ; elle a demeuré auparavant au Reclus, pendant environ quatre ans, maison du marquis d’Arlinge ; elle a, depuis son abjuration, passé le reste de sa vie dans cette ville. — Signé Gaime, curé de Lémenc. »