Page:Janet - Les névroses, 1909.djvu/62

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Les premières et les plus typiques de ces manies mentales que le défaut de croyance nous faisait prévoir sont les manies de l’oscil-lation. L’esprit n’arrive pas à une conviction formelle, mais il ne se repose pas dans cet état de doute que Montaigne appelait un mol oreiller pour les têtes bien faites et qui n’est pour ces têtes-là qu’un instrument de torture. Les uns appliqueront la manie de l’interrogation à leurs souvenirs : Ls… a-t-elle voué son enfant au bleu? Il serait essentiel de le savoir; certaines circonstances la poussent à croire que oui, certaines autres que non. Dès que la considération des unes l’incline à une opinion, les autres se présentent avec plus de force et le balancement continue pendant des heures. Les autres s’interrogent sur leurs sentiments. Fa… se demande perpétuellement si elle trouve d’autres hommes mieux que son mari et Re… cherche avec angoisse si oui ou non elle aime son fiancé.

Dans ce groupe doivent se ranger aussi les manies du présage ou l’interrogation du sort. Le malade ne pouvant arriver lui-même à la solution de la question qu’il s’est posée s’en remet à quelque affirmation étrangère, indiscutable parce qu’elle est incompréhensible, il décide d’accepter la décision du sort; de même, quand nous hésitons entre deux actions et que nous n’avons pas l’énergie suffisante pour reconnaître quelle est la meilleure, nous jouons à pile ou face. By… se tourmente pour savoir s’il croit en Dieu ou s’il n’y croit pas : « Si, décide-t-il, en marchant dans la rue je puis éviter de traverser l’ombre des arbres, c’est que je crois en Dieu, si je traverse l’ombre des arbres c’est que je n’y crois pas ». J.-J. Rousseau, qui, par bien des côtés, était un malade tout à fait semblable à ceux que j’étudie ici, note dans ses Confessions qu’il se sentait poussé à résoudre les questions insolubles par un procédé semblable. « La peur de l’enfer, dit-il, m’agitait encore