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Page:Janet - Les névroses, 1909.djvu/95

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Il y a là un malentendu, l’acte de parler quand on est tout seul et l’acte de causer réellement avec quelqu’un, l’acte de faire une classe imaginaire à des chaises et l’acte de faire une classe réelle devant des élèves en chair et en os ne sont pas du tout les mêmes actes. Le second est bien plus complexe que le premier; il renferme, outre d’énoncé des mêmes idées, des perceptions, des attentions complexes à des objets mouvants et variables, des adaptations innombrables à des situations nouvelles et inattendues qui transforment complètement l’action. Pourquoi un individu sans volonté peut-il faire le premier acte et ne peut-il pas faire le second? Tout simplement, à mon avis, parce que le second acte est plus difficile que le premier. Que des émotions, des agitations motrices, des bégaiements, des crampes des écrivains, des tics de toute espèce viennent s’ajouter ou mieux se substituer à cet acte qui ne s’accomplit pas, c’est un grand phénomène secondaire dont il faudra tenir compte; mais le fait essentiel, c’est l’incapacité d’accomplir l’acte social et, en particulier, l’acte de parler devant quelqu’un.

C’est ce que l’on vérifie par l’examen des différentes formes de cette timidité. La timidité fait le grand malheur de ces personnes : elles ont un sentiment qui les pousse à désirer l’affection, à se faire diriger, à confier leurs tourments, et elles n’arrivent pas à pouvoir se montrer aimables, à pouvoir même parler. Ce sont tous des « ren-fermés » qui sentent beaucoup, mais qui n’arrivent pas à exprimer. Il en résulte encore une contradiction : ces personnes sont poursuivies par le besoin d’être aimées et d’aimer, elles ne songent qu’à se faire des amis; d’autre part, elles méritent l’affection, extrêmement honnêtes, ayant une peur horrible de froisser quelqu’un, n’ayant aucune résistance et disposées à céder sur tous les points, ne devraient-elles pas obtenir très facilement