Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/142

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à cent lieues de distance une troupe de cavaliers. La route est longue, les étapes sont désignées à l’avance, les rafraîchissements sont rares. Chemin faisant, plus d’un cheval se déferre, et plus d’un homme en proie au soleil tombe et se blesse dans la poussière du grand chemin. Toutes ces responsabilités, petites et grandes, pèsent sur la tête du commandant. Il répond de la santé de ses bêtes et de ses hommes. Il faut qu’il improvise à chaque instant une ambulance, un hôpital ; c’est pis que la guerre une pareille marche, et sitôt que nos soldats n’ont plus qui les regarde, à peine ils ont traversé les cités curieuses et les hameaux étonnés, soudain s’en va toute gaieté ; plus de rire et plus de chanson. Rien de triste et de sérieux comme un grand chemin qui n’en finit pas ; surtout l’heure était mauvaise et mal choisie au mois de juin. Pas un brin d’herbe à la prairie et pas une ombre aux arbres languissants. Les anciens se montraient là-bas une longue vallée où murmuraient l’an passé tant de ruisseaux sur des rives hospitalières. O misère ! les eaux limpides avaient disparu ; le ruisseau était plein de cailloux ; le cheval, harassé, cherche en vain sur les pommiers du sentier quelques fruits verts pour apaiser la soif qui le dévore. Le pommier n’a plus de fruits, le soleil plus de nuages. Elle-même, la nuit, favorable au repos, la nuit était brûlante. Il fallut huit jours pour trouver à Vernon un répit dont ces malheureux avaient si grand besoin.

Hommes et cavaliers, Vernon leur fut un véritable Paris. Bientôt rafraîchis par deux jours de repos, ils gagnèrent Rouen, la capitale de la Normandie, et Rouen les garda trois mois pour remplacer un régiment de cuirassiers qui tenait garnison dans l’antique Évreux, sous les murs hospitaliers de Saint-Taurin. Enfin toutes ces forces étant réparées, hommes et bêtes en bon