Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

état, le jour vint où le commandant Martin, faisant l’inspection de ses lanciers, les trouva si beaux et dans un état si prospère :

— Enfants, dit-il, nous entrerons demain dans la capitale du Calvados. La ville appartient à des magistrats qui nous feront bonne mine d’hôtes, et j’espère que nous nous conduirons tous en honnêtes gens.

Le commandant ne haïssait pas les bonheurs d’une courte harangue. Il était content d’avoir accompli toute sa tâche ; il se disait que l’heure du repos était venue et que maintenant sa destinée était accomplie, ayant renoncé à toute espérance d’avancement ; puis il se sentait chez lui. Il chantonnait entre ses dents la chanson nationale :

J’irai revoir ma Normandie,
C’est le pays qui m’a donné le jour.


Ainsi songeant, ils entrèrent, en bon ordre et rendus à la discipline austère, dans l’antique cité de Guillaume le Conquérant. La ville de Caen est l’une des plus vieilles de la grande province. A chaque pas vous rencontrez une maison curieuse et vous foulez une longue histoire. La ville est sévère, et les habitants, silencieux, respectent le passage des gens de guerre. Toutefois chaque habitant s’en vint sur le seuil de son logis saluer ces nouveaux arrivés. Il y eut même (et c’étaient des joies à n’en pas finir) plus d’un père et plus d’une mère qui reconnurent leur fils le brigadier, leur fils le trompette ou le sous-lieutenant. La troupe alors s’arrêtait un instant pour les premières effusions ; puis les passants continuaient leur chemin aux hennissements des chevaux, qui comprenaient enfin qu’ils étaient arrivés. Le commandant allait cette fois le premier, cherchant, mais en vain, quelque visage