Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/16

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En ce moment, nous convenons que même pour le diable la tentation était grande, et que la proie était belle. Une femme de vingt ans, un mari à peu près du même âge. Emporter cela tout de suite représentait une heureuse et diabolique journée.

— Ami ! qui t’arrête ? disait le bailli à son camarade. Où trouveras-tu deux plus belles âmes et plus de larmes que dans les yeux de ces trois enfants ? Prends ta part, j’ai la mienne, et quittons-nous bons amis.

Donc, tout semblait perdu. Le bailli triomphait, la belle maison tremblait jusqu’en ses fondements. Les enfants pleuraient. Le père et la mère étaient damnés... Mais au fond de leur âme ils s’aimaient trop pour être ainsi brouillés si longtemps.

— As-tu bien fait, ma mignonne ! as-tu bien fait, s’écriait le jeune homme au cou de sa femme, et suis-je un mécréant de t’avoir, pour si peu, grondée ! Un brin d’or ! te reprocher un brin d’or, quand je devrais te couvrir de diamants et de perles !

— Non, non, s’écriait la jeune épouse, avec de grosses larmes dans les yeux, c’est ma faute et non pas la tienne. Où donc avais-je, en effet, si peu de cœur, que de dépenser en vanités la dot de nos enfants ?

Alors, quittant le cou de son mari, elle baisait avec ardeur les deux petits garçons et la belle petite fille aux yeux bleus, les enfants ne sachant plus s’ils devaient rire ou pleurer. Et lorsque enfin ils eurent tous les cinq essuyé ces douces larmes et retrouvé leur sourire, ils posèrent le petit collier sur la tête de la madone, en guise d’ex-voto, et tous les cinq agenouillés sous les yeux de la divine mère, ils récitèrent, les mains jointes : Nous vous saluons, Marie, pleine de grâces !

Ici le diable se sentit si touché, qu’une larme s’échappa