Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de ses yeux et tomba sur sa joue. On entendit : Pst ! le bruit d’une goutte d’eau sur le fer brûlant. Le bailli, lui, ne fut pas touché le moins du monde. Il sentit grandir sa furie, et pour toute chose il eût voulu revenir sur ses pas. Mais avec le diable il faut marcher toujours en avant. Il est la voix qui dit : Marche ! et marche !

En vain voulez-vous faire halte en ce bel endroit du paysage enchanté ; Marche ! et marche ! En vain la ville offre à vos yeux des beautés singulières : Marche ! et marche ! En vain le libertin demande un moment de répit pour quitter les mauvaises mœurs, et se marier à quelque innocente : Allons ! marche ! et marche ! Il y a même des instants où le traître et le tyran feraient trêve assez volontiers à leurs manœuvres criminelles : Marthe en avant ! Tu as laissé passer le repentir ; arrive, en boitant, le châtiment qui va te prendre ! Ainsi l’ambitieux, quand il renonce à l’ambition, l’avare à l’argent, le soldat aux meurtres et le débauché à ses plaisirs d’un jour : Marche ! et marche ! il faut obéir jusqu’à l’abîme entr’ouvert. C’est la nécessité.

M. le bailli marchait donc. Toutefois, comme il était rusé et passé maître en diableries, lui aussi :

— C’est mon droit, dit-il à son compagnon, d’aller en avant par le chemin que je choisirai.

— C’est ton droit, reprit l’autre, incontestablement. Sur quoi le bailli, rassuré, prit un petit sentier par la montagne. Or ce sentier allongeait le voyage d’une grande lieue, et le diable (on l’attrape assez facilement) eut quelque soupçon qu’il était joué par le bailli.

— Tu me tends un piège ? dit-il. Jouons, comme on dit, cartes sur table, et que chacun de nous soit content.

— Monseigneur, reprit le bailli, chacun son tour. Vous me teniez tout à l’heure, et maintenant c’est moi qui