Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

chacun vive ; et, pour les épingles de mes deux cousines, les demoiselles Levallois, qui tiennent en leurs mains l’âme et l’esprit de votre future épouse, autant que pour ma propre allégeance, il serait bon de convenir entre nous que vous me cédez pendant cinq ans, pour le prix des récoltes ordinaires de chaque année, toute la récolte du clos de Saint-Géran.

— Y pensez-vous ? reprit Romain, Saint-Géran se classe et sera classé avant peu parmi nos meilleurs crus. J’ai déjà obtenu que l’an prochain Saint-Géran serait inscrit en toutes lettres sur la carte des vins de la Maison d’Or, du Café anglais et des Frères Provençaux. Je tiens le traité de ces grandes maisons dans mon portefeuille ; elles payeront l’an prochain quatre cents francs la feuillette que vous voulez avoir pour cent cinquante. Ah ! quelle idée avez-vous là ? Qui, moi, j’irais grever la plus belle part de la fortune de Mme de Saint-Géran, ma future épouse ? Allons, soyez bon homme, un peu moins d’épingles à mesdemoiselles vos cousines, et cherchons, s’il vous plaît, une plus amiable compensation.

Le commis voyageur répondit par une imprécation, mais à voix si basse que M. Fauvel ne put l’entendre. Il était d’ailleurs tout préoccupé de ce nom qu’il attendait si peu et qui le frappait d’une nouvelle épouvante. Était-ce vrai ? S’agissait-il, dans cette affaire ténébreuse, de la fortune et de la main de cette aimable femme qui l’appelait si gentiment mon cousin, et qui lui donnait de si loin, sans le connaître, tant de bons et fidèles témoignages d’une amitié dévouée ? Une grande confusion se faisait en ce moment dans cet esprit si rapide et si vif.

— Non, certes, se disait-il, je ne serai point entré vainement dans cette caverne, et Gil Blas ne va pas céder cette fois encore au capitaine Rolando. Les Crispins