Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/236

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Ici le poète et l’officier se regardèrent : le moment d’agir était venu. Nos deux jeunes gens, la canne à la main, traversèrent l’avenue, et, la porte étant ouverte, ils se trouvèrent dans l’antichambre, au grand étonnement de M. Jolibois, qui se demandait pourquoi les chiens, qui avaient tant hurlé, ne hurlaient plus. M. Fauvel entra le premier, suivi de son jeune compagnon, qui déjà commençait à pâlir. Il demanda d’une voix nette et brève à saluer Mme de Saint-Géran ; et Jolibois, très interdit, balbutiait quelques excuses, disant qu’il était bien fâché, mais que madame allait se mettre à table avec ses amis ; que l’heure d’une visite était mal choisie, et qu’il priait ces messieurs de revenir le lendemain sur le midi.

Le Jolibois n’était pas ce qui s’appelle un orateur ; mais autour de lui s’agitait, leste et preste, en cette antichambre, une fillette en bonnet rose, en blanc tablier, très accorte et très curieuse, la petite Basse-Brette que nous avons entrevue un instant lorsqu’elle accompagnait sa maîtresse à l’église. A peine elle eut jeté sur le poète le regard vif et perçant d’une fille intelligente, elle reconnut l’original du beau portrait gravé que sa maîtresse avait accroché dans son cadre d’or, à la plus belle place de sa bibliothèque.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-elle, que madame sera contente ! Entrez, Monsieur, vous êtes chez vous.

Puis, sans crier gare, et le Jolibois se demandant si elle n’était pas folle, elle ouvrit à deux battants la porte du salon.

En ce moment, la dame de céans, assise dans une bergère, semblait accablée à la fois de la tristesse de sa situation présente et des discours vraiment étranges que lui tenait M. Romain, son vainqueur. Il était entré à la