Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/46

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cinq lignes, la jeune Laurette a raconté cette immense catastrophe : « Eh bien, ma belle petite, l’impératrice de Russie me semble prendre son parti sans balancer longtemps. Son mari, dit-on, voulait la répudier, on prétend même lui faire trancher la tête, de plus établir le luthéranisme dans ses États ; mais elle l’a prévenu, l’a fait enfermer lui-même, et s’est fait déclarer czarine. »

En revanche, on vous dira tout au long comment un bal public vient de s’établir sur la pelouse de la Muette, en concurrence avec le fameux bal de Vincennes. Ce bal de la Muette est charmant ; on y danse, on s’y promène, on y va le dimanche. Un peu plus tard, ce lieu de fêtes aura nom le Ranelagh ; aujourd’hui, le Ranelagh est une suite de petits palais entre deux jardins :


Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés...


C’est la chanson de Mme de Pompadour.

Encore une nouvelle importante : « On jouait hier Tancrède et le Legs à la Comédie française, et le duc de Bedford était dans une loge. Or, le duc de Bedford venait justement traiter pour la paix. » A peine si les plus graves événements tiennent autant de place, en cette histoire écrite sous l’émotion du moment, qu’un serin qui s’envole, un chien perdu, ou la mort d’un singe favori. Évidemment, toutes les choses sérieuses étaient au second plan. Tout le monde ignore ou semble ignorer la menace et le danger de l’heure présente. Ces vastes famines, ces misères sans nom, ces faillites d’argent et d’honneur, Laurette n’en sait rien. Elle vous dira plus volontiers les sept églogues de Virgile qu’un seul des épisodes sanglants de la guerre de Sept ans. Innocence est le mot très inattendu de cette idylle en plein dix-huitième siècle.