Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/47

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On s’aperçoit à chaque instant que Laurette habite assez loin de la cour. Elle n’en sait que les histoires les plus décentes ; pas un des hommes sages et pas une des honnêtes femmes qui l’entourent n’oseraient lui parler des scandales de Versailles. Ses livres favoris se composent des histoires d’Angleterre, de l’Histoire des abeilles, et des Idylles de Gossner, traduites par Diderot qui ne s’en vante guère. Un beau jour, quoiqu’un lui prête Gil Blas, et cette enfant, qui lisait Tacite à livre ouvert, ne comprit pas grand’chose au roman de Le Sage. Elle ne vit pas que, dans son Gil Blas, Le Sage avait représenté le caprice et le courant de la vie humaine, et que le lecteur, à chaque page, pouvait s’écrier : Je reconnais mes propres aventure !

On était alors aux dernières heures de Mme de Pompadour. A la même heure (et c’est tant mieux pour elle), notre innocente était occupée également de son serin, de son singe et de Mme de Pompadour : « Mon serin est mort tout couvert d’abcès. Brunet, mon singe, allait beaucoup mieux. Il me faisait toutes sortes de caresses. Le voilà mort, en même temps que Mme de Pompadour. » Elle aimait les livres. C’est le plus beau goût du monde. Il n’est pas de passion plus charmante. Elle en parlait à merveille :

« J’ai acheté ce matin trente volumes latins et grecs de la bibliothèque des jésuites. » Nouveau motif d’étonnement de rencontrer cette jeune fille attentive à tant de choses : « Aujourd’hui, dit-elle, après avoir lu Locke et Spinosa, fait mon thème espagnol et ma version latine, j’ai pris ma leçon de mathématiques et ma leçon de danse. A cinq heures, est arrivé mon petit maître de dessin, qui est resté avec moi une heure un quart. Après son départ, j’ai lu douze chapitres d’Épictète en