Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/57

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la pauvre voyageuse ; empressées autour de cette misère touchante, les bonnes sœurs lui prodiguèrent tous les services ; elles lavèrent ses pieds ensanglantés sur les pavés du chemin ; elles présentèrent à cette abandonnée la coupe où buvait Mme de La Rochefoucauld elle-même, et pendant que la douce couleur revenait à cette joue où tant de larmes avaient coulé, la petite fille, débarrassée enfin de ses haillons, se réjouissait dans des linges blancs et chauds. Prenez et mangez ! Puis la mère et l’enfant furent conduites à l’infirmerie, et s’endormirent paisibles dans un lit, dont elles étaient privées depuis huit jours.

Le lendemain, à leur réveil, leur premier regard rencontra les yeux tendres et sérieux tout ensemble de cette illustre dame de La Rochefoucauld. De sa voix, faite aussi bien pour la prière que pour le commandement, elle encouragea la mère à lui raconter par quelle suite de misères elle était arrivée à ce dénuement si triste et si complet. La mère alors répondit qu’elle avait épousé naguère un gentilhomme, un pauvre Irlandais de la catholique Irlande, qui l’avait emmenée avec lui dans une cabane où, pendant quatre années, ils avaient eu grand’peine à vivre. Il y avait deux ans déjà que la petite fille était au monde, et Dieu sait qu’ils avaient grand espoir de l’élever ; mais la famine avait envahi toute la contrée, et la peste avait emporté le mari ; les hommes du fisc étaient venus qui avaient vendu la cabane et le champ de blé ; puis la charité publique, disons mieux, la prudence irlandaise, habile à se défaire des pauvres gens sans soutien, les avait embarquées sur une barque de pêcheur qui les avait jetées à la côte, et voilà comment elle était venue en tendant la main jusqu’à ce lieu d’asile, où elle espérait trouver quelque emploi dans la domesticité de l’abbaye, et chaque jour un verre de lait chaud pour son enfant.