Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/7

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femme n’y venait plus, ses enfants n’y venaient pas. La honte et le déshonneur avaient précédé cette ruine. Ah ! rien que des lambeaux pour couvrir les vassaux de cet homme, et rien que des herbes pour les nourrir ! Les sangsues avaient à peine laissé sur ces pauvres un peu de chair collée sur leurs os ! Malheureux ! ils avaient supporté si longtemps les gens de guerre, les gens d’affaires, les gens du roi, des princes du sang, des officiers de la couronne et des gentilshommes au service de Sa Majesté ! autant d’oiseaux de proie et de rapine. A la fin, quand on les vit tout à fait réduits au néant, rois, princes et seigneurs, capitaines et marquis semblèrent avoir oublié que ce petit coin de terre existât. C’était une relâche, et cette race, taillable et corvéable à merci, eût peut-être fini par retrouver l’espérance et quelques épis, si M. le marquis n’eût pas laissé M. son bailli dans son marquisat dévasté.

Ce bailli, avec un peu plus de courage, eût été homme d’armes au compte de quelque ravageur de province. Il s’était fait homme de loi, parce qu’il n’eût pas osé porter une torche ou toucher une épée. Il s’était donné la tâche unique, ayant droit de basse et haute justice à dix lieues à la ronde, et jugeant souverainement, de ne rien laisser dans les masures : pas un œuf, pas un flocon de laine, un morceau de pain, une botte de paille. Il revenait de chaque expédition rapportant quelque chose et soupçonnant ses paysans de cacher leur argent et leur bétail. Quatre fois par an, ce bourreau entrait en campagne, et, sauve qui peut !

Or, par un jour sombre et pluvieux de l’automne, au moment où déjà la bise et l’hiver s’avancent, M. le bailli des sires de Mondragon sortit du château, chaudement enveloppé sous le manteau d’un malheureux fermier qu’il