Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/8

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avait envoyé aux galères. Deux serfs le suivaient, portant deux sacs vides. Il était monté sur un cheval bien nourri d’avoine et de foin, de si belle avoine, que les chrétiens de céans en auraient fait leur pain de fiançailles. L’aspect de cet homme était terrible. Il s’avançait cependant d’un pas réservé dans la solitude et le silence. Il comprenait que la haine était à ses trousses et que la vengeance allait devant lui. Mais rien ne l’arrêtait dans ces expéditions suprêmes.

Quand il eut dépassé le cimetière et l’église, au détour du chemin, il entra dans une lande aussi stérile que tout le reste, et dans un espace de vieux arbres qu’il fallait absolument franchir avant d’arriver dans les villages de la seigneurie. Peu à peu, ne rencontrant personne, il se sentait rassuré, lorsque, d’un vieux chêne dont la tête se perdait dans les cieux, il vit sortir un homme... ou tout au moins un fantôme, qui posa sa main puissante sur la croupe du cheval. Le cheval en éprouva un soubresaut par tout son corps. Alors le cavalier, tournant la tête, osa contempler ce compagnon silencieux. C’était moins un corps qu’une image, une ombre. On voyait briller dans sa face implacable deux yeux noirs, dont le blanc même était noir. Ça brillait, ça menaçait, ça brûlait. M. le bailli n’eut pas grand’peine à reconnaître qu’il venait de rencontrer son grand’père, le diable en personne, et celui-ci, d’une voix de l’autre monde :

— Je sais où tu vas, dit-il, et je vais de ce côté. Voyageons ensemble...

Ils allèrent donc, lorsqu’ils rencontrèrent au carrefour de la forêt (c’est incroyable et c’est vrai pourtant) un paysan traînant après lui un porc qui revenait de la glandée. Il avait sauvé ce porc par grand miracle et l’emmenait dans son logis, tremblant d’être aperçu par quelque