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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

pourquoi cette rage soudaine ? Quelles sont les libertés qu’on attaque ? Quelles frontières a t-on prises ? Que ferez-vous de ce sang, je vous prie ? Un sang impur, qui vous l’a dit ? Vous répondez que ceci est le refrain de la Marseillaise, eh ! cette abominable Marseillaise que vous chantez à tout propos, vous ne savez pas même la chanter.

Vous ne savez pas, non certes, que cela se chantait la tête nue, au milieu de l’orage, en partant pour la frontière, quand on voulait, chanter en gens de cœur. La Marseillaise ! un signal en ce temps-là, un défi jeté à l’Europe ! Aujourd’hui vous en faites un jouet, une menace, un beuglement. La Marseillaise ! ah fi ! Vous la chantez au hasard, par couplets détachés, sans y croire, et quand chacun dans la ville épouvantée et tremblante à ce refrain de cannibales, reste immobile, éperdu, — les yeux hagards, et l’oreille déchirée par ces hurlements qui n’ont plus de sens ; — langue oubliée d’une colère usée par le temps et par la gloire ; — insensés, vous êtes la parodie et le châtiment des anciennes excitations révolutionnaires ; vous êtes les ménétriers d’un quatrevingt-treize impossible ! Si, cette fois le sang impur que vous voulez verser, n’appartient pas à vos concitoyens, si vous renoncez à l’échafaud politique, cette machine à couper les têtes innocentes, en un mot, si votre hurlement marseillais ne menace que l’ennemi, alors attendez qu’il vienne, attendez que la guerre soit déclarée, attendez que les libertés publiques soient en péril, et ne déshonorez pas, au préalable, le noble sang que vous allez verser.

Le sang qui se répand sur les champs de bataille est un noble sang, vous devriez le savoir. De grâce, n’ôtez pas à la guerre son éclat et sa grandeur, ne déshonorez pas l’ennemi que vous n’avez pas couché par terre ; surtout, dans vos déclamations chantées, soyez des hommes sérieux, ne venez pas à l’improviste jeter ainsi dans nos instants trop courts de repos et d’oubli, des menaces de carnage. Certes, la chose en vaut la peine, de ne pas crier au hasard. Recueillez-vous pour crier : La guerre ! la guerre ! et ne prenez pas pour votre champ-clos, un théâtre, c’est-à-dire une frivole enceinte destinée à donner quelque réalité à toutes les inventions qui peuvent passer par la tête des hommes. Songez aussi, avant que d’entonner votre chant de guerre, devant qui vous le chantez. Rappelez-vous, rappelez-vous, non seulement les victoires