Page:Janin - Histoire de la littérature dramatique, t. 1, 1855.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
233
LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

lesville, nous dirons que toute cette tempête des esprits est funeste, cruelle, insupportable. Mieux vaudrait, cent fois, un grand événement bien compliqué, mais dont on serait sûr, que ces abominables et furibondes déclamations, fumée sans feu, bruits inertes, mensonges funestes. Non, rien n’est sincère dans les turbulences de ces esprits venus de l’abîme ; ils s’agitent et nul ne les mène ; ils crient, ils hurlent, ils tuent, sans savoir pourquoi ces cris, pourquoi ces hurlements et ces tueries ! Interrogez l’une après l’autre, ou toutes ensemble les sincères intelligences de ce pays, elles vous diront que cet état de fracas et d’orage est la ruine et la mort de l’intelligence ; elles vous diront que mieux vaudrait la guerre au dehors que tous ces tumultes au dedans, et qu’enfin il ne faut pas compter sur leur concours, s’il ne s’agit que de lire de nouveaux pamphlets le matin, et d’apprendre, en détail, de nouveaux assassinats le soir.

Quoi donc ! voilà d’honnêtes gens qui se réunissent dans un théâtre ; ces gens-là ont accompli aussi bien qu’ils ont pu, la tâche de la journée ; ils se sont préparés de leur mieux aux paisibles jouissances des beaux-arts. La salle est éclatante de lumières ; les femmes sont belles et parées. À l’Opéra, Meyerbeer éclate dans toute sa puissance ; au Théâtre-Français, le grand Corneille domine de sa voix sérieuse et solennelle les plus hautes discussions de la vieille Rome ; il règle à sa façon ce terrible débat de la République et de l’Empire, ce débat qui dure encore depuis plus de vingt siècles qu’il a été entrepris sur les bords du Tibre. Dans d’autres endroits moins sérieux, la comédie légère s’abandonne à ses gracieuses folies : la joie est partout, le délassement est partout. Tout à coup, à l’instant même où l’intérêt est au comble, au duo de Valentino et de Raoul, à l’instant même où l’empereur Auguste écrase Cinna sous son pardon, ou bien au moment le plus naïf de Bouffé, ou encore à l’instant où va paraître ce nouveau diable qu’on appelle Pauline Leroux, soudain des voix se font entendre, qui, brisant notre joie et notre repos, se mettent à entonner furieusement le cri de guerre : Aux armes, citoyens ! — Formons nos bataillons ! — Qu’un sang impur arrose nos sillons ! Ainsi ils chantent, ainsi ils brisent à plaisir, par cette tempête hurlée, nos douces émotions de chaque soir ! Mais cependant qui nous pousse ? Où est le danger ? où est l’ennemi ? Pourquoi ces cris de sang ?