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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

bataille, ces malédictions furieuses, ces barbares invectives, cette odeur d’échafaud. Tout comme aussi, même la note de cette avalanche musicale, ne peut pas rester ce qu’elle est. Il y a dans ce refrain à voix basse une certaine agitation qui ne peut pas convenir à une armée de six cent mille hommes, à une France de trente-deux millions d’hommes qui, depuis tantôt dix ans, se préparent à la guerre. Au contraire, ne trouvez-vous pas dans la Marseillaise un certain tremblement nerveux d’une nation au désespoir ? N’est-ce pas là un chant plus rempli d’inquiétudes que d’espérance ? et chemin faisant, dans les champs de bataille, aux jours des batailles, serait-il besoin de proclamer tant de menaces ?

Non pas, certes ! La révolution de 1830, le modèle des révolutions, — elle avait, à coup sûr, le sentiment de toutes les convenances, de toutes les justices, — avait adopté tout d’abord, pour son chant national, la Parisienne, écrite par le plus élégant poète de ce temps-ci. Dans la Parisienne il était fait appel à toutes les nobles passions qui agitent les peuples, et cependant c’était là un beau langage, des vers que l’on peut citer sans offenser la grammaire, des sentiments élevés, point de défis inutiles, point de morgue sanglante, rien de ce facile héroïsme qui s’exalte à huis-clos, et qui se glorifie lui-même. Vous la pouvez chanter encore, cette improvisation d’un habile poète, et vous n’y rencontrerez que d’honorables souvenirs. C’est le repos d’un peuple qui s’est battu trois jours pour défendre les lois outragées ; c’est le bien-être intime d’un pays qui échappe aux désastres d’une révolution ; c’est le bon sens d’une nation qui se fait jour, tout de suite, à travers le dernier nuage de la poudre qu’il a fallu brûler pour se défendre. La Marseillaise, au contraire, pour tant de souvenirs glorieux, que de misères elle rappelle ! Encore à cette heure, il n’est pas une famille en France, qui n’ait perdu à ce refrain sinistre, quelques-uns de ces grands parents dont on se raconte tout bas dès l’enfance, la courage, le dévouement et le supplice. Or ces gens-là, les orphelins de la première révolution, ils seront les premiers, n’en doutez pas, à marcher sur l’ennemi, si l’ennemi vous arrive ; accordez-leur cependant pour toute marche guerrière le hennissement des chevaux, le bruit du canon, le bruit du tambour, et faites-leur grâce de cette horrible chanson !