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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

pas dégoûté, mon camarade ! C’est-à-dire qu’en votre qualité de grand artiste vous préférez la paix à la guerre, l’ordre à l’émeute, la chanson où l’on rit à la chanson où l’on égorge ! Et de fait, toute colère à part, je ne connais pas dans toutes nos chansons nationales, une chanson plus française et plus nationale que celle-là : — J’ai du bon tabac ! J’ai du bon tabac, c’est-à-dire, moi, le peuple français, je suis le maître chez moi, je n’ai pas peur de vous, et malgré toutes vos menaces, je trouve encor le petit mot pour rire. J’ai du bon tabac, c’est-à-dire j’ai de l’or plein mes coffres, du fer plein mes arsenaux, la cocarde tricolore à tous mes chapeaux, et sous mes drapeaux autant d’hommes qu’il en faut pour tenir tête à l’Europe. J’ai du bon tabac, c’est-à-dire, ici, chez moi, il n’y a qu’une volonté, une croyance, un seul roi autour duquel on se presse, et que chacun, lorsqu’il passe, salue du regard et du cœur. J’ai du bon tabac, c’est-à-dire je vous attends de pied ferme ; je n’irai pas à vous, mais si vous allez à moi, tant pis pour vous ! — J’ai du bon tabac.

Vous savez le reste, et nous gardons ce reste-là pour les jours les plus terribles.

J’en ai du frais et du râpé, etc.

Mais que disons nous ? il n’est pas un enfant sur la terre de France qui ne la sache par cœur cette chanson nationale, du bon tabac, qui pourrait nous sauver tout aussi bien que tout autre air national, si nous la chantions d’un transport unanime ! Et, soyez-en sûrs, la sainte alliance elle-même, y regarderait à deux fois avant de nous attaquer, si quelques-uns de ses espions venaient lui dire : — C’est à ne plus rien comprendre à la France : point de cris, point d’émeutes, point de clameurs, point de menaces, pas le plus petit régicide ; mais chacun se tient par la main, chacun fourbit ses armes, chacun chante à qui mieux mieux, sans trop s’inquiéter de l’avenir :

J’ai du bon tabac dans ma tabatière.
J’ai du bon tabac, tu n’en auras pas. »