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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

tannicus venant s’ébattre à loisir Saint-Just et Danton et leurs dignes complices les pourvoyeurs de guillotine ! J’aime assez cependant tout ce passage où je semblais répondre à l’avance aux tentatives que plusieurs ont faites, de nos jours, pour nous montrer, semblables à des philosophes du Lycée ou du Portique, ces malheureux égorgeurs dont le nom seul restera comme une tache éternelle au front de notre nation :

« Figurez-vous, disais-je à mon lecteur, que tous ces hommes de dommages et de meurtres sont devenus dans ce drame autant de philosophes et de héros. Danton surtout, le républicain, le vertueux Danton, saluez, c’est le Socrate matérialiste qui renie l’âme humaine avec les arguments d’un méchant rhéteur. Voulez-vous tenter un essai sur l’injustice de certaines apothéoses, oubliez un instant ces noms atroces, ces noms d’assassinat et de sang, et tout d’un coup introduisez, au milieu de ce drame burlesque qui se joue en ce moment, un honnête homme de province, un bourgeois élevé dans les habitudes et dans les respects de la tragédie des grandes époques ; ne dites pas à votre homme de quoi il s’agit dans ce drame qui va passer sous ses yeux, placez-le quelque part où on ne le voie pas rougir ; à peine au fond de cette loge obscure, notre homme est attentif, et voulant se mettre au courant de l’action qui se passe sur le théâtre : — Quel est, dit-il, ce pauvre diable qui s’empoisonne et qui meurt bourrelé de remords ? — On lui répond : C’est le capucin Chabot ! — Quel est ce jeune homme si intéressant qui parle avec tant de feu de la liberté et de la vertu ? — C’est Camille Desmoulins ! — Et celui-là, orateur inspiré, inflexible républicain, plus beau que Brutus, qui est-il ? — À quoi on serait forcé de répondre : C’est Danton ! Oui, Monsieur ; oui, pauvre étranger, c’est Chabot que vous plaignez, c’est Camille Desmoulins qui vous fait répandre tant de larmes, lui-même, ce forcené qui s’intitulait avec fierté le procureur général de la lanterne ! Enfin, ô misère ! ô crime ! ceci nous représente Danton, le farouche et ivre Danton, l’auteur des massacres de septembre, avec Fabre d’Églantine, ce comédien manqué ; oui, monsieur, vous avez sous les yeux ces hommes qui ont voté tant de lois atroces, qui ont lancé les égorgeurs sur les prisons, qui ont tenté de massacrer et de déporter toute la France, et dont la rage fut vaincue par une rage supérieure à leur rage ! »