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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

barrasse, moins que personne ! Je vous demande si ce n’est pas encore là un grand progrès ? Il ne nous manquait plus que de tomber dans le vice, comme nous sommes tombés dans le crime et dans la révolution ?

Oui vraiment, avoir le sang-froid de nos faiseurs, à les voir remuer ces ordures sans un geste d’indignation et de surprise, on reste épouvanté dans cet oubli de toute morale et de toute pudeur. Prenez, par exemple, Catherine II et les drames dont elle est l’héroïne. Dans ces drames, toute la grande et royale partie de cette vie honorée à tant de titres, par tant de grands hommes de la paix et de la guerre, est outragée et calomniée à plaisir. Voici Catherine : d’abord épouse d’un crapuleux débauché qui lui fait faire l’exercice à la prussienne, Catherine accepte un amant de la main du premier ministre, Alexis Betuscheff. Cet amant, — le comte Soltikoff, — lui est enlevé, trois mois après, par le même ministre qui le lui a donné ; Soltikoff est remplacé par M. de Poniatowski ; puis, d’amants en amants, elle fait assassiner son mari, elle est autocrate, et alors, une fois au pouvoir, concubine de Grégoire Orloff, elle se plonge dans toutes les saturnales de cette cour barbare. Après Orloff, arrive Potemkin, et avec Potemkin, toute une armée. Désormais, la grande Catherine ne choisit plus, elle se livre. Entrez chez elle, entrez sans être annoncé si vous êtes soldat aux gardes, vous êtes sûr d’être le bien venu et de gagner un grade, tout au moins pour votre peine. Ô quelle honte ! Et qui voudrait croire à la vérité de ces insultes, et qui voudrait convenir que c’est devant pareille femme que s’agenouille le xviiie siècle ? — Voltaire s’incline devant cette impératrice comme il s’est incliné devant le roi de Prusse ; Diderot, cet énergique Diderot, va la voir et lui baiser les mains ; elle a pour chambellans, des gentilshommes français, dans un temps où c’était chose de si haute importance d’être un gentilhomme français ; bien plus, il y eut un matin où on lui présenta Bernardin de Saint-Pierre, dans la grande galerie ; avec un pouce de plus d’envergure, Bernardin de Saint-Pierre, le timide et charmant écrivain aurait peut-être été autocrate de toutes les Russies, à son tour !

Si bien que je ne sais rien de monotone et de monstrueux comme cette existence impériale où tout se mêle et se confond : la poésie et la violence, les plaisirs et les meurtres, la gloire et la