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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

touche, je me souviens qu’on y mettait beaucoup plus de soin et de bon sens. Quelle pitié !

Et cependant, pour Mirabeau, passe encore. On peut le gaspiller à plaisir, ce grand homme, qui est toute une époque. Il y a des noms qui ont leur magie toute faite, des événements qui portent leur intérêt avec eux ; mais comment il se fait que l’impératrice Catherine, Catherine II, Catherine le Grand, disait Voltaire, soit devenue une héroïne de vaudeville, voilà ce que je ne comprends pas, en vérité.

Pour ma part, je ne conçois pas que, des Sémiramis d’autrefois etde ces incestes, tant pleures etsi dramatiques de la famille d’Agamemnon, nous soyons subitement tombés, et sans aucune espèce de transition, à ces histoires d’alcôve et d’antichambre dans le palais des rois. Vous parlez des histoires grecques et de la fatigue qui vous oppresse dans ces récits pleins de meurtres et de voluptés sans frein ; vous rejetez bien loin le drame antique, vous ne voulez plus de ces malheureuses amours, de ces vengeances sanglantes ; tout cela vous fatigue, dites-vous. — Inconcevable époque ! Et, fatiguée de ces amours si dramatiques dans leur désespoir, blasée sur ces catastrophes si remplies de pitié et de terreur, voilà mon époque pédante qui va battre des mains aux amours d’une femme qui prend un homme sans le choisir, qui le rejette l’intant d’après pour goûter d’un autre, qui égorge son mari et ses enfants, qui se vautre dans la fange et dans le sang, qui résume à plaisir toute l’histoire d’Atrée et de Thyeste, et qui n’a à redouter ni les Euménides qui grondent, ni les fureurs d’Oreste, ni les émotions de ce soleil qui recule épouvanté ! Notez bien que c’est toujours la même histoire sous le ciel grec ou sous le ciel russe ; mais, à entendre les faiseurs de vaudevilles qui immoleraient Iphigénie elle-même au médiocre plaisir de faire un bon mot, sous le ciel russe tout est sang, rien n’est remords ; autour de Catherine II tout est honte et rien n’est pitié ; il n’y a rien du ciel dans cette histoire sans âme et sans cœur ; les voluptés et les crimes s’accomplissent dans un ordre dépouillé de toute espèce de peur et de prestige, et nous autres, blasés et fatigués que nous sommes, nous allons voir avec le plus grand sang-froid cette impératrice impassible, qui se débat sous le nombre de ses amants.

Horrible mensonge, et pêle-mêle dont l’auteur dramatique s’em-