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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

Eh bien, cet homme on puissance d’une maîtresse qui réclame à grands cris sa femme légitime, cet amoureux qui prie Sophie de lui permettre de rejoindre madame de Mirabeau ; cette pauvre Sophie qui, du fond de sa honteuse prison, dit à son amant, à celui pour qui elle souffre : Sois libre ! tout cela n’a pas paru assez dramatique à nos auteurs. Ces combats, ces passions diverses, ce procès si hardiment soutenu, rette femme qui se tient à l’écart, cette maîtresse qui se soumet, tous ces obstacles qui surgissent et qui tombent à chaque instant, le drame a méprisé ces misères comme indignes de lui ! Quoi d’étonnant que le vrai Mirabeau ait fait honte à des poètes qui, pour inspirer plus de pitié pour le héros de leur choix, commencent par le mettre au cachot ?

Vous sentez bien que le père de Mirabeau dit à son fils mille horreurs de Sophie, qu’il ne sait pas cachée là ; à ce discours, Sophie se trouve mal : le marquis est plus furieux que jamais, il va sortir, quand heureusement arrive un ordre de la cour qui relâche Mirabeau. Le premier acte finit là.

Je passerai sous silence une partie du second acte. L’élection de Mirabeau, la révolte du Midi, la fameuse histoire : Mirabeau, marchand de drap ; tout cela est très-chronologiquement raconté. C’était pourtant une grande nouveauté et bien inouïe que ce gentilhomme qui se dépouille de ses titres, qui abjure sa noblesse, qui se fait peuple, dans un temps où il était si honteux d’appartenir à la gent corvéable ! À raconter de pareils événements il faudrait un homme à la fois très-intelligent et très-poète ; un homme habile à peindre la stupeur sur les visages, et l’émotion dans les cœurs. C’est quelque chose de touchant, Mirabeau, un Riquety, se dégradant de la noblesse de ses pères, sans savoir même si son renoncement lui sera compté parmi ce peuple renouvelé ? Certes, il dut y avoir, à cet instant de la vie de Mirabeau, un bien cruel moment d’incertitude et de malaise… ils n’ont rien peint de tout cela. Ils n’ont rien préparé de ce qu’il fallait préparer dans leur drame. Tout au rebours, quand il s’est agi d’employer un peu de hasard, ils n’ont pas su se servir du hasard. Comme ils ont traité la belle scène du Jeu de Paume, admirablement représentée par le peintre David ! La scène change. Nous voyons un jeu de paume tout préparé pour une séance de dépu-