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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

homme qui verse d’insipides larmes ? j’attendais un amoureux de vingt ans !

Mais voilà bien une autre nouveauté ! Mirabeau, quand il a bien parlé, s’évanouit ; il s’évanouit comme Camille dans son souterrain. Alors entre une femme, devinez quelle est cette femme ? C’est madame de Monnier. Ainsi le même jour, et à quelques heures de distance, madame de Monnier s’est échappée de la maison où elle était détenue ; elle est entrée à la Bastille, et elle en est sortie sans que personne ait pu la voir : à présent, elle a traversé le château de Vincennes, elle entre dans le donjon ; et dans ce donjon elle descend au cachot de Mirabeau. Qui eût dit à cette pauvre femme qui a versé tant de larmes, qui est restée si longtemps prisonnière, qui a été si soumise, si patiente, si faible, si souvent faible, qui s’est tuée dans un siècle où on ne se tuait pas, qu’un jour on lui ferait jouer un pareil rôle… celui-là eût bien étonné madame de Monnier.

À peine madame de Monnier est-elle dans le cachot avec son Mirabeau, qu’on entend venir quelqu’un ; ce quelqu’un, dont je parlais tout à l’heure, et qui arrive toujours mal-à-propos, ce quelqu’un c’est encore le marquis de Mirabeau, l’ami des hommes. Cette fois encore il faut cacher la pauvre Sophie ; cette fois il n’y a ni bibliothèque ni chambre à coucher ; cette fois Sophie se cache derrière les rideaux du lit. Toujours se cacher Sophie ! Sophie si adroite et si maladroite à la fois ! Quand le père de Mirabeau est auprès de son coquin de fils, il lui fait la plus formidable des semonces, que Mirabeau reçoit fort mal. Entre autres choses, le marquis propose à son fils d’aller retrouver sa femme. Ici, l’histoire est encore indignement violée : vous savez tous quelles belles lettres Mirabeau écrivit à sa femme, du donjon de Vincennes, ses prières, ses excuses, ses lettres à Sophie, dans lesquelles il lui demande la permission de revoir sa femme. À peine sorti du donjon, et avant d’aller voir Sophie qu’il n’a jamais revue depuis, Mirabeau court en Provence, et, devant les tribunaux, il somme sa femme de revenir à lui, son mari. Ces plaidoyers sont même le point de départ de l’éloquence de Mirabeau. Sans une faute, une seule ! sans celle lettre adultère de sa femme, dont il eut la maladresse de parler, et dont l’avocat de la partie adverse se servit si habilement, Mirabeau gagnait sa cause.