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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

Ce qui va vous étonner plus encore, c’est qu’à la fin de cette séance du Jeu de Paume arrive le roi Louis XVI. Oui, le roi lui-même, en cordon bleu ! Or, il n’arrive là que pour donner occasion à Mirabeau de dire son mot : Le silence des peuples est la leçon des rois ! Un mensonge historique pitoyable pour un mot que tout le monde sait, c’est payer ce mot bien cher !

Savez-vous, au troisième acte, qu’il y a une scène où Mirabeau s’écrie : De l’or, beaucoup d’or, il me faut de l’or !

Oui, Mirabeau dit cela, Mirabeau l’effréné prodigue, Mirabeau, qui jeta aux vents sa vie et sa parole, sa fortune et celle de ses amis ; Mirabeau qui eut besoin toute sa vie de tout ce qui fait la vie élégante et riche, mais qui n’aima jamais l’argent ! Je sais bien ce qu’on va dire. — Son traité avec la Cour, les papiers de l’armoire de fer, les reçus signés de sa main, et voilà un homme qu’on appelle vendu ! Mirabeau ne s’est jamais vendu. Il a été ambassadeur au compte du ministère, on lui a payé ses ambassades ; plus tard, quand épouvanté des progrès de la révolution, il voulut venir au secours du Roi et de la Reine qui l’imploraient, il commença par faire la part de la Constitution ; il posa les bases de la loi, il écrivit au Roi des lettres dans lesquelles est deviné tout entier le gouvernement constitutionnel, dans lesquelles sont tracés d’une manière invariable, et très-honorable pour tous les deux, les rapports du Roi et du peuple ; voilà ce qu’a fait Mirabeau.

Après cela, qu’il ait accepté un peu de cet or de la Cour, dont il avait besoin, et dont la Cour pouvait faire un plus mauvais usage, qu’importe, quand il s’agit d’un homme comme Mirabeau ? qu’importe quand il s’agit d’arracher à une stupide misère ce grand homme que l’arbitraire a ruiné ? Qu’importe quelques milliers francs à ce grand génie qui va tout sauver, le Roi et la France ? Qu’importe qu’il ait accepté une pension, cet homme de si haute intelligence qui seul a compris ce qui se passe dans sa patrie ? Cet homme, n’est-ce pas le Mirabeau emprisonné, humilié, roué en effigie, le Mirabeau odieux à la Cour et aux nobles, le Mirabeau incendiaire, le Mirabeau qui pardonne au Roi, à la Reine, aux nobles tous les maux qu’il a soufferts ? Non, Mirabeau n’a jamais proféré ces paroles : de l’or ! de l’or ! Au contraire il l’a très-bien dit à une de ces vénalités vulgaires qui pullulent dans tous les