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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

le compte des déclamateurs. La déclamation est une chose si facile à faire et si profitable, et qui charme à coup sûr tant de bonnes dupes, qu’on ne saurait y renoncer en faveur d’un peu de raison et d’équité.

On sait comment le jeune héros sortit de la Bastille, comment il fut rappelé de l’exil et par quel touchant sacrifice une jeune et belle princesse le racheta au prix de sa propre liberté et de son penchant. Ainsi avait fait Mademoiselle pour le beau Lauzun ! Dans les âmes royales, l’amour n’est pas moins fécond en sacrifices que dans les autres âmes. M. de Richelieu avait alors vingt-quatre ans. Il se dit que c’était là payer bien cher l’éclat de ses bonnes fortunes, et il résolut de faire moins parler de lui à l’avenir. Il se présenta donc à l’Académie française où l’attendait le fauteuil du marquis de Dangeau, cet heureux flatteur qui, malgré toutes ses adulations, n’a pas pu parvenir à se déshonorer, car il était le flatteur de Louis XIV. À l’arrivée de ce nouveau confrère, trois académiciens qui étaient des gens de mérite, Fontenelle, Destouches et Campistron, se mirent l’esprit à la torture pour écrire son discours de réception ; mais le duc de Richelieu trouva que Fontenelle avait trop d’esprit, que Destouches et Campistron ne connaissaient pas assez le monde, et à lui tout seul il écrivit, toujours avec sa mauvaise orthographe, un discours tout rempli de ces belles grâces sans apprêt et de ce goût exquis qu’il avait puisé autre part que dans les livres. Dans ce discours qui est un des meilleurs que l’Académie ait entendus, on a remarqué un bel éloge de Louis XIV. L’année suivante il fut reçu pair au Parlement, et les plus belles dames lui servirent de cortège. Quand mourut le Régent et quand le roi Louis XV commença ce long règne si mêlé de mal et de bien et qui allait à l’abîme, M. le duc de Richelieu fut envoyé ambassadeur en Espagne et dans des circonstances difficiles. À cette cour toute irritée du renvoi de l’infante, M. le duc de Richelieu lutta de hauteur et d’insolence avec les plus insolents et les plus hautains. Un jour que le ministre de Philippe V voulut prendre le pas sur l’ambassadeur de France, celui-ci repoussa brutalement l’Espagnol, et cette offense, qui eut pour témoin toute la cour, resta impunie. Un autre jour, ce fut l’ambassadeur d’Autriche qui s’enfuit pour ne pas céder la préséance au duc de Richelieu. Téméraire, il fut un des plus énergi-