Page:Janin - Histoire de la littérature dramatique, t. 1, 1855.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
265
LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

jeté dans un des plus horribles cachots de la Bastille (c’était la troisième fois qu’il allait à la Bastille), le duc sut garder son secret et ne dénoncer personne. Ainsi il avait tous les genres de courage en même temps qu’il avait tous les genres de bonheur. En effet, même dans le fond de ce cachot infect, il apprit que les propres filles du régent, mademoiselle de Charolais et mademoiselle de Valois, lui tendaient une main secourable. Ainsi avait fait, lors de sa première captivité, madame la duchesse de Bourgogne.

À l’exemple de ces deux grandes dames, toutes les femmes de Paris furent émues de pitié pour l’intéressant captif. Elles accouraient dans leur plus bel équipage pour entrevoir les murs de sa prison, pour le saluer du regard, du geste et du cœur, quand il se promenait sur le préau. Longtemps le faubourg Saint-Antoine, ce terrible faubourg qui dormait encore, ne fut plus qu’une procession de duchesses ; même les femmes qu’il avait trahies, voulurent contempler, de loin, cette ombre charmante et captive de leurs amours. Si elles avaient su, les pauvres femmes, qu’un jour viendrait où, en leur nom, cet homme tant aimé serait traîné sur un théâtre ; où, en leur nom, il serait livré sans défense à l’indignation du parterre ; où, en leur nom, cette gloire toute française serait indignement outragée, comme elles se seraient récriées ! comme elles auraient donné un démenti formel à ce Monvel ! comme elles auraient répondu, la main sur leur cœur : Il n’est pas si coupable que vous le faites ! Nous l’avons aimé, il est vrai, mais à nos risques et périls. Son inconstance n’est pas seulement sa faute, c’est la nôtre encore ; nous, les premières, nous lui avons jeté notre amour, heureuses quand il daignait s’en parer huit jours ! Ne l’outragez donc pas ainsi, cette passion de notre jeunesse ! Depuis longtemps, nous, ses victimes, nous avons pardonné au duc de Richelieu ces charmants malheurs de l’amour ; nous l’avons pardonné justement parce qu’il a beaucoup aimé et parce que nous l’avons beaucoup aimé !

Mais voir ainsi les choses sous leur véritable point de vue, ni trop haut, ni trop bas ; se tenir toujours à ce point fixe, en deçà et au delà de tous les excès ; ne pas séparer un homme de l’époque où il vit, où il règne, où il reçoit la mode, où il la donne ; ne pas imposer à ce temps-ci les mœurs d’un autre siècle, ce n’est pas