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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

acabit. Les plaisanteries de son valet de chambre ne sont d’aucune antichambre ; le philosophe est un déclamaleur de la plus petite espèce. Restent les malheurs de madame Michelin : ils ont fait verser bien des larmes, mais, grâce à Dieu et à M. de Balzac, les malheurs de madame Michelin sont devenus presque ridicules aujourd’hui ; de nos jours, madame Michelin obtiendrait à peine une dernière place dans la longue liste des femmes malheureuses. Vous rappelez-vous les Victimes cloîtrées de ce même Monvel, que l’empereur avait créé membre de l’Institut ? On a voulu à la même époque reprendre les Victimes cloîtrées sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin ; le public des boulevards les a supportées à peine un jour ou deux ; le dégoût en a fait justice, et il faudra de bien cruelles révolutions pour que les Victimes cloîtrées s’emparent même de la plus humble affiche du boulevard.

La Comédie-Française a si bien compris qu’avec sa Jeunesse de Richelieu, elle commettait un indigne, un stupide anachronisme, que, pour nous donner le change, elle a affiché, non pas la Jeunesse de Richelieu, mais le Lovelace Français. Un autre jour vous la verrez afficher non pas Cinna, mais la Clémence d’Auguste. Eh bien, ce titre de Lovelace Français est une bêtise ajoutée à tant d’autres.

Le héros de Richardson est un gentilhomme qui n’a rien de commun avec le Richelieu de Monvel. C’est un scélérat, il est vrai, mais un scélérat dangereux et plein de génie. La lutte de ce vicieux et de cette vertu qui s’appelle Clarisse Harlowe est admirable, justement parce que Clarisse est de force à lutter contre ce rude jouteur. Si Clarisse était moins courageuse, si Lovelace était moins dangereux, adieu le chef-d’œuvre ! Comme aussi si Clarisse se laissait traiter par Lovelace comme se laisse traiter madame Michelin par Richelieu, toute la vigueur et toute la moralité de ce grand drame seraient perdues ; pour remplacer un chef-d’œuvre impérissable, on aurait un drame du citoyen Monvel ! »