Page:Janin - Histoire de la littérature dramatique, t. 2, 1855.djvu/14

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pas sans charme. Il semble que votre jeunesse vous revient, parée et charmante à l’unisson.

Bientôt, de ces profonds silences qui vous effrayaient tout d’abord, s’élèvent des bruits confus ; ce sont des voix aimées qui vous parlent toutes à la fois ; bientôt encore on dirait que la confusion s’arrête et que chaque voix veut parler à son tour.

Écoutez-les, et si chacune de ces voix, qui représente une année, une passion de votre vie, arrive à vous, racontant des opinions auxquelles vous êtes resté fidèle, des haines qui vivent encore en votre âme, et des admirations qui n’ont fait que grandir ; si en même temps vous rencontrez, dans ce concert qui ne vous déplaît pas, quelque souvenir de luttes généreuses, de résistances loyales, de combats courageux : le faible protégé dans sa faiblesse imméritée, et le fort attaqué dans sa gloire injuste ; et si vous pouvez dire à coup sûr : voilà une renommée que j’ai faite, voilà un esprit que j’ai découvert le premier, voilà un nom qui est un nom, grâce à moi ; et parmi vos erreurs, si vous en trouvez plusieurs qui vous ont été facilement pardonnées ; et parmi les hardiesses de votre goût, si vous en rencontrez quelques-unes qui aient été justifiées, et dans vos prévisions, s’il arrive que vous ayez deviné juste, une fois sur dix, et si, en fin de compte, vous avez pour amis les vaillants, les fidèles, les courageux, les grands esprits, et si les autres seuls vous haïssent ; les impuissants, les vaniteux, les faux poètes, les faux historiens, les faux railleurs, les faux braves, les faux hommes de lettres ; et si parmi les choses que vous avez écrasées, il ne s’est pas rencontré un chef-d’œuvre, et si parmi les choses que avez le plus louées, il ne s’est pas découvert une honte, et si votre instinct vous a guidé dans les passages difficiles, de façon à vous faire éviter les trappes, les écueils et les abîmes dont le sentier des belles-lettres pratiques est semé de toutes parts, et si, de tous ces obstacles…

Tant de violences, de haines, de cris étouffés, — tant de fureurs anonymes, tant d’injures, tant de calomnies, tant et tant de rages sourdes de l’amour-propre offensé, n’ont pas laissé plus de traces que l’escargot quand il passe… un peu d’écume gluante que la rosée efface et que le soleil emporte, alors, véritablement, cette profonde horreur que vous inspirait cet amas de feuilles, amoncelées dans le Capharnaüm du journal, devient une fête… une