Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/112

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papiers de famille, quelques titres de propriété, quelques rentes sur l’État, achetées après tant de sueurs paternelles ! mon testament, qui n’a que deux lignes ; en un mot, toute mon indépendance, ma douce et précieuse indépendance dans ces chiffons de papier ! Brûlez ce tiroir, et demain je redeviens foule, demain je ne suis plus qu’un mercenaire, un marchand de saillies à défaut de mieux, un oiseau sur la branche, qui, dès le premier jour du printemps, prévoit déjà en tremblant le sombre hiver. Pourtant ce tiroir, si précieux à mon existence, est le seul qui ne soit pas fermé ; en revanche, le tiroir d’à côté est défendu par deux serrures : dans le tiroir ouvert il ne s’agit que de ma fortune, il s’agit de mon cœur dans le tiroir fermé.

Je ne suis pas de ceux qui rient d’un amour perdu. J’ai éprouvé qu’un amour ne se remplace pas par un autre amour. Le second fait tort au troisième, le troisième au quatrième ; ils s’affaiblissent l’un l’autre comme un écho, comme le cercle fragile qui ride l’onde agitée par la pierre d’un enfant. Surtout il est une femme que l’on ne remplace jamais : c’est la seconde femme que l’on aime.

Toutes ces douces reliques sont précieusement rangées dans le coffre-fort de mes souvenirs, par ordre de date et d’amour. Ce sont