Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/125

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ma garde-robe ou brûlé ma plus belle chemise ? — Une bonne nouvelle, Monsieur : je me marie demain.

Je fus frappé comme d’un coup de foudre ; il y avait six ans que je la traitais comme une enfant, ce matin même j’avais mis pour elle quelque friandise en réserve, et elle allait se marier, cette toute petite Jenny, cette enfant ! Je la regardai, et en effet je trouvai qu’il n’y avait à cela rien d’étrange. Je poussai un profond soupir, et, me levant furieux :

— Maudit soit, m’écriai-je, le premier prétendu poëte qui s’est avisé de faire de l’horreur, métier et marchandise ! maudite soit la nouvelle école poétique avec ses bourreaux et ses fantômes ! ils ont tout bouleversé dans mon être ; à force de me faire étudier le monde moral dans ses plus mystérieuses influences, ils m’ont empêché de remarquer que cette jolie petite Jenny n’était plus un enfant. — Pardonne-moi, ma petite Jenny, lui disais-je en me rapprochant d’elle ; tes dix-huit ans te sont arrivés sans me crier : gare ! C’est que, vois-tu, je suis devenu un si grand philosophe ! À ces mots, Jenny, prête à pleurer, se prit à rire, puis, me tendant sa grosse joue : — N’embrassez-vous pas votre petite Jenny aujourd’hui ?