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Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/128

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avait dans ce vin bien des drogues malsaines. Ma stupide philosophie ressemblait à de l’envie, que c’était à faire pitié ou à faire peur. Cependant Jenny était heureuse ; elle était si pressée de regarder son mari tout à son aise, qu’elle me dit adieu sans même m’accorder un regard, et moi je la quittai en la trouvant jolie malgré moi, — jolie parce qu’elle était heureuse ! — et je poussai un soupir qui n’était rien moins que le soupir d’un homme résigné. — Serait-il donc possible, m’écriai-je, que l’amour ne s’aperçût pas du premier coup ? Pourrait-il donc arriver qu’on fût épris d’une femme sans le savoir ? À cette pensée, je sentis un frisson involontaire. Malheureux que j’étais ! c’est en vain que je voulais me le dissimuler à moi-même, ce n’était pas Jenny qui me rendait misérable. Non, je n’étais pas le jouet d’un amour sans nom et sans but : je savais trop bien quel était le triste et indigne objet auquel j’avais attaché ma vie. Misérable et indigne amour ! Quoi donc ! aimer une pareille femme ; la suivre à la trace dans cet affreux sillon de vices et de corruptions de tout genre ; la voir se perdre sans pouvoir lui crier : arrête ! car cette femme n’entend pas la langue que je parle ; n’avoir rien à lui demander, car ce rien-là, elle l’accorde à tout le monde ! n’avoir