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Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/16

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suis placé, je rencontrais quelque possesseur jaloux qui, avec la hardiesse du premier occupant, vînt me dire : Ôte-toi de mon chaos ! comme Diogène disait à Alexandre : Ôte-toi de mon soleil ! je représenterais humblement à ce maître du vide, qu’il a tort de se mettre ainsi en colère ; que le chaos appartient à tout le monde, surtout quand il n’y a plus que du chaos ; que pour être le premier qui se soit logé dans ce je ne sais quoi sans forme et sans couleur, il n’est pas le premier, à coup sûr ; que je pourrais lui en nommer bien d’autres qui y sont restés embourbés avant lui, et qu’enfin les ténèbres sont assez vastes pour que lui et moi nous nous bâtissions dans ces Landes ténébreuses chacun un beau palais de nuages, où nous logerons à notre gré des bourreaux, des forçats, des sorcières, des cadavres, et autres agréables habitants bien dignes de cet Éden. Pour moi, dans la construction de mon château gothique, je n’irais pas nonchalamment.

D’abord je choisirais, sur le haut de quelque montagne ou sur le bord de quelque rivière, un vaste emplacement ; et quand mon emplacement serait trouvé, je creuserais un large fossé, que le temps remplirait d’une boue noire et verte ; sous ce fossé je placerais une prison féodale aux murs suintants, et pour tout meuble, quelque gril de quatre pieds pour y brûler à petit feu le juif vagabond ; au-dessus de ma prison, de larges salles pour mes archers et mes hommes d’armes ; et sur les murs, en guise de tableaux, des armets, des cuirasses, des cuissards, des gantelets, des arquebuses aux mèches flamboyantes, des arcs détendus aux